Norton Sport-Club Genève

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Dans la cour des grands

 

Marco Gentile

 

Il fait partie de ces personnes qui d’emblée vous tiennent sous leur charme, qui savent d’instinct vous mettre à l’aise. Même si vous venez de lui être présenté, Marco est ainsi fait qu’il vous parle comme si vous vous connaissiez depuis toujours, attentif à ce que vous dites, heureux de l’intérêt que vous portez à ses projets ou à ses soucis, partageant votre plaisir. Il vous accordera la même attention que vous soyez spécialiste ou profane en matière de courses, que vous soyez célèbre ou quidam, homme ou femme. Il a toujours un geste de sympathie à l’égard des enfants, une caresse pour le chien qui vient quémander un bout de sa viande.

 

 

Joyeux vivant, il affectionne ces moments de bonheur où, entre copains, anciens ou nouveaux, on se retrouve autour d’une table, à discuter de tout et de rien, à plaisanter ou à évoquer des thèmes plus sérieux, en dégustant   un bon repas et en sirotant une bouteille de vin soigneusement choisi.

 

Une fois la visière baissée, Marco n’est plus le même homme. S’il garde, dans la conduite de la moto, sa finesse instinctive, il fait preuve, dès que la première est enclenchée, d’un tempérament offensif, d’une volonté farouche, d’un professionnalisme qui ne laisse aucune place à cette décontraction qui le caractérise dans le quotidien et jusque dans les stands, avant les courses.

Gentile avec le N° 20

En 1980, il a tout juste vingt ans lorsqu’il découvre, un peu par hasard, le plaisir de la moto. Lors d’une journée de pilotage au Lédenon, circuit très technique et exigeant en matière de conduite, Claude Guex lui prête pour quelques tours sa Yamaha TZ. Il ne lui faut pas longtemps pour maîtriser les difficultés du circuit et tourner avec une aisance qui stupéfie Serge Badan qui l’observe du bord de la piste. C’est lui qui l’encourage à prendre une licence et d’emblée Marco confirme ses qualités de pilote puisqu’en 1982 déjà, il possède une licence internationale et décroche une deuxième place au championnat suisse avec sa propre moto, après une saison épique où une bataille féroce l’oppose tout au long de la saison à Daniel Lanz, tous deux laissant échapper le titre au profit de Jean-Claude Demierre, plus régulier.

En quelques mois, Marco s’est laissé prendre au piège des courses. Elles lui permettent de concilier le plaisir du pilotage et celui de la mécanique. De plus, l’ambiance si particulière des parcs à coureur, lui convient à merveille. Cependant, il lui faut un challenge. Aussi décide-t-il de participer au championnat d’Europe, en 250, puis, l’année suivante, en 500 sur une Yamaha. Avec son mécanicien Thierry Ramu-Caccia, ils connaissent les vicissitudes, les heurs et malheurs des amateurs confrontés aux professionnels souvent soutenus par des usines. Marco n’est pas du genre à se plaindre; optimiste, il va de l’avant déjà trop heureux d’être encouragé, aidé par un nombre appréciable d’amis genevois.

 

Sous ses apparences de dilettante, heureux de vivre une aventure extraordinaire, Marco fait preuve dans la préparation de ses machines d’un très grand sérieux. Il ne laisse à personne, sinon à Thierry, le soin de régler son moteur ou de modifier la suspension. Sans avoir l’air d’y toucher, il vérifie méticuleusement jusqu’au plus petit détail pour être sûr que tout fonctionnera comme il l’entend durant la course. Par contre, il lui arrive d’exaspérer son entourage, en tournant encore autour de sa moto alors qu’il serait temps de se préparer lui-même à la course, de commencer sa concentration.

Marco Gentile

Le titre de champion d’Europe qu’il décroche en 1985 lui permet d’être sollicité par Claude Fior qui, dans le sud-ouest de la France, construit avec génie mais des moyens dérisoires, des motos de course avec lesquelles il entend affronter les usines en grand prix. La complicité entre les deux hommes est immédiate et leur amitié va aller s’intensifiant pendant leurs quatre saisons à parcourir les continents à la conquête d’une place dans la cour des grands.

 

Les débuts sont difficiles, mais chaque course apporte son lot de progrès. Marco se révèle un testeur hors pair. Il sait repérer les moindres défauts, indiquer les réglages du moteur Honda les plus judicieux, diagnostiquer les raisons d’une tenue de route inadéquate. Ses suggestions conduisent à de nouveaux développements, à de nouvelles impulsions dans la recherche technologique. Pif - le surnom affectueux dont on a affublé Claude Fior - n’hésite pas, lorsque toutes les améliorations se révèlent insuffisantes, à repartir sur un nouveau concept, à tout repenser à zéro. Marco lui fait entière confiance, une confiance tout à fait réciproque. Lorsque Marco obtient son premier point en championnat du Monde, à Misano, ils tombent dans les bras l’un de l’autre à la fin de la course, en larmes. Au Norton, ce petit point synonyme d’espoir, le premier en solo depuis les exploits de Gyula Marsovszky, est salué par des applaudissements nourris.

 

Au début de la saison 87, à Jerez, avec une machine toute nouvelle, achevée seulement quatre jours avant la course, Marco termine la course en douzième position, Claude et lui sont plus heureux que s’ils avaient touché le gros lot et de fait leur saison sera excellente, sanctionnée par un dix-septième rang mondial. C’est le résultat d’heures, de journées, de semaines à travailler ensemble sur le circuit de Nogaro à fignoler les détails, à rechercher des solutions originales, à les tester, à les modifier.

 

Malgré un professionnalisme irréprochable, Marco, entre-temps, ne résiste pas au plaisir d’autres disciplines. Il s’amuse à s’essayer au cross, au trial, participe aux Six Heures enduro du Norton en faisant équipe avec Joël Udry ou avec son ami Serge Théodoloz, autre pilote talentueux des circuits de vitesse.

 

Pour 1988, Pif prépare une 250. Recommencent les jours et les nuits de travail et pour Marco les séances interminables d’essais, entrecoupées de casse-croûte pris sur le pouce, parfois d’un repas plus plantureux histoire de se détendre un peu. Ce jour-là, on s’accorde une pause, juste avant le repas de midi. Marco qui vient de rentrer la moto au box, une fois de plus, ne résiste pas à la vue du kart que Claude a construit. Juste deux, trois tours pour s’amuser. Au deuxième tour, on ne saura jamais pourquoi, le kart part en tête-à-queue et la tête de Marco heurte violemment la glissière dite de sécurité. Il ne se réveillera plus. Il vient d’avoir trente ans.

Roudy Grob

Tiré et adapté de « Un demi siècle d'histoires »

Norton Sport Club Genève ; 1999